Les entreprises françaises éprouvent-elles des difficultés à répondre aux obligations de la Loi Sapin II ? Quelles en sont les implications ?
Notre cinquième déjeuner–débat à Paris portait sur les difficultés des entreprises en France à se conformer à la nouvelle loi Sapin II relative à la lutte contre la corruption et au trafic d’influence.
La loi Sapin II représente un développement important dans la lutte contre la corruption en France et à l’étranger. Elle aide à améliorer l’image de la France et oblige les entreprises concernées à construire ou à renforcer leur programme de conformité. La prévention et la détection de la corruption deviennent ainsi des sujets de discussion majeurs au sein des entreprises visées par la nouvelle loi.
Malgré ces aspects positifs, la loi Sapin II constitue un défi pour les acteurs concernés. Lors du débat, la majorité des participants a confirmé être confrontée à des difficultés dans la mise en place des programmes de conformité. Cette mise en conformité peut représenter des coûts supplémentaires non négligeables, en particulier pour les entreprises de moindre taille qui ont des ressources limitées. Certains participants ont également souligné la difficulté d’obtenir les moyens nécessaires au sein d’entreprises n’ayant jamais été confrontées à des affaires de corruption.
Plusieurs participants ont évoqué le risque pour les organisations ayant déjà des procédures en place de sous-estimer l’importance d’ajustements nécessaires. Par exemple, le Code de conduite mentionne-t-il le trafic d’influence ? Le système d’alerte est-il accessible aux parties prenantes externes (aux prestataires, aux intérimaires etc.) ? Le programme de formation existant répond-il bien aux attentes de la loi ? Pour ces entreprises, le défi n’est alors pas dans la mise en œuvre mais dans l’adaptation du dispositif. Enfin la nécessité de consulter les instances représentatives du personnel (IRP), parfois nombreuses, lors de la création ou de la mise à jour du Code de conduite, du système d’alerte ou de la politique anti-corruption, présente un défi supplémentaire.
La majorité des participants reconnaît par ailleurs que la difficulté réside moins dans la création ou le renforcement de systèmes et de procédures que dans leur déploiement. En ce sens, la culture constitue un obstacle majeur. Les participants estiment qu’un changement de comportement en France est nécessaire pour que les systèmes soient mis en place de manière efficace. Les exemples suivants ont été partagés:
- La notion de corruption peut être perçue différemment par les parties prenantes. Certaines entreprises participantes s’interrogent notamment sur les conséquences commerciales si un fournisseur ne partageait pas la même définition d’un acte de corruption. Faut-il alors prendre le risque de maintenir la relation ou y mettre un terme ? De plus, la loi Sapin II place la responsabilité davantage sur les entreprises et moins sur les acteurs publics. Le risque que des élus locaux sollicitent des avantages indus est dès lors toujours présent.
- Le système d’alerte interne est peu utilisé en France, même s’il existe depuis longtemps au sein des grandes entreprises. Un changement culturel est jugé nécessaire pour que le système fonctionne. Les managers doivent savoir comment réagir lorsqu’ils reçoivent les alertes et être en mesure d’évaluer leur caractère recevable. La formation est donc très importante, mais comment s’assurer que le manager mette effectivement en œuvre ces bonnes pratiques ? Des enquêtes d’opinion internes mesurant la confiance des employés dans le dispositif peut être une solution. La possibilité d’avoir un seul système d’alerte, facilitant sa diffusion, ou plusieurs, pour mieux identifier les allégations relatives à la Loi Sapin II, a également été discuté. Enfin, certains participants estiment qu’une ligne téléphonique n’est pas indispensable; tout système d’alerte, y compris par courrier électronique, est acceptable dans la mesure où il fonctionne correctement.
L’importance de la communication pour faire face à ces différences culturelles a été soulignée. Les responsables de l’éthique et de la conformité ont un rôle de sensibilisation et de formation auprès des employés et des managers pour faire comprendre les enjeux liés à ces nouvelles politiques et procédures. Ce rôle est d’autant plus important au sein des entreprises travaillant dans divers contextes d’opération.
Le rôle et le fonctionnement de la nouvelle Agence française anticorruption (AFA) méritent encore d’être clarifiés, créant un climat d’incertitude pour les entreprises. Ces dernières ont besoin d’un appui de la part de l’AFA, ce qui nécessite que l’Agence connaisse et comprenne les enjeux auxquels est confronté le secteur privé. Les participants attendent notamment la publication des recommandations de l’AFA sur la prévention et la détection des manquements au devoir de probité (un projet d’une partie de ces recommandations a été publié dans le cadre d’une consultation publique le 5 octobre 2017). Parmi les interrogations, la question de la vérification préalable (due diligence) des clients a été évoquée. Les participants sont dans l’attente d’informations supplémentaires concernant le périmètre et le niveau de vérification exigés par la nouvelle loi.
En conclusion, les participants ont estimé que toutes les entreprises concernées par la loi Sapin II, quel que soit leur niveau de préparation initial, doivent s’assurer de la mise en place et du bon fonctionnement de leurs systèmes et de leurs procédures anti-corruption. Le partage de bonnes pratiques dans ce travail de mise en conformité est attendu.
Le point de vue de GoodCorporation:
Le Référentiel Anti-Corruption de GoodCorporation (transposant les dispositions de la loi Sapin II) comprend des recommandations concrètes pour aider les entreprises à répondre aux nouvelles exigences de la loi et à mettre en place les meilleures pratiques dans le domaine de la détection et de la prévention de la corruption.
Nous accompagnons de nombreux clients dans la mise en œuvre de leur programme de conformité conformément à la loi Sapin II, et remarquons des similitudes avec la période de préparation au UK Bribery Act (UKBA).
Dans un premier temps, nous observons que certaines multinationales sont en ordre de marche car elles ont déjà adopté les mesures visant à se conformer aux exigences du FCPA et du UKBA. Cependant, nous percevons qu’un nombre important d’entreprises françaises peine à attirer l’attention des instances dirigeantes et à obtenir les budgets nécessaires pour mettre en œuvre la loi Sapin II. En outre, le travail de mise en conformité peut parfois être interrompu par un élément secondaire (par exemple par le processus d’information et de consultation des IRP dans le cadre de la mise à jour du Code de conduite).
Il reste à espérer que la loi Sapin II apportera un véritable changement de culture et d’attitude en France dans le domaine de la lutte contre la corruption et qu’elle saura récompenser les entreprises françaises qui font de l’éthique et de la conformité un élément central de leur culture d’entreprise.