La loi sur le devoir de vigilance, partiellement invalidée par le Conseil constitutionnel, est promulguée
Déposée en réaction à la catastrophe du Rana Plaza ayant causé la mort de plus de 1000 travailleurs au Bangladesh en 2013, la proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre a fait l’objet depuis deux années d’amendements successifs de la part des deux chambres parlementaires.
Après la lecture définitive par l’Assemblée nationale le 21 février 2017, un recours devant le Conseil constitutionnel a été immédiatement déposé par les sénateurs et députés Les Républicains. Le 23 mars 2017, le Conseil constitutionnel s’est finalement prononcé. Les Sages valident l’esprit de la loi en considérant qu’il ne porte pas atteinte à la liberté d’entreprendre et déclarent cependant inconstitutionnelle l’amende civile de 10 millions d’euros pouvant être prononcée en cas de manquement à l’obligation d’établir et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance pour prévenir les atteintes aux droits humains.
Les ONG et syndicats soutenant la loi ont manifesté leur satisfaction dans un communiqué, estimant que “l’essentiel des dispositions du texte est conservé“. L’AFEP, association regroupant plus d’une centaine de grands groupes français, déplore cette décision :”alors que notre économie souffre d’un défaut de compétitivité, les entreprises regrettent que la France fasse le choix de leur imposer par la loi des contraintes fortes à caractère large et indéterminé pouvant engager leur responsabilité civile“.
Entre 150 et 200 entreprises françaises concernées
Les entreprises ayant leur siège social en France de plus de 5000 salariés (ou 10 000 salariés avec leurs filiales étrangères) ont désormais l’obligation d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de vigilance destiné à identifier et prévenir les atteintes aux droits humains, à la santé et à la sécurité des personnes et à l’environnement dans leurs propres activités et dans leur chaine d’approvisionnement. Entre 150 et 200 entreprises françaises seraient a priori concernées.
Des mesures de ‘diligence raisonnable’ pour identifier et prévenir les atteintes aux droits humains
Le plan de vigilance comprend :
- Une cartographie des risques permettant d’identifier et de prioriser les risques relatifs aux droits humains, à la santé et à la sécurité et à l’environnement
- Une évaluation régulière des filiales, sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elle entretient une ‘relation commerciale établie’ sur la base de la cartographie des risques
- Des mesures d’atténuation de ces risques
- Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements
- Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité
Un décret d’application pourrait venir compléter ces dispositions et préciser les modalités d’élaboration et de mise en œuvre du plan de vigilance. Il peut être élaboré en concertation avec les parties prenantes de la société ou dans le cadre d’initiatives multipartites et devra être publié dans le rapport de gestion de l’entreprise.
L’amende civile de 10 millions d’euros jugée inconstitutionnelle
La sanction imposée à l’entreprise en cas de manquement à son obligation d’établir et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance pouvant s’élever jusqu’à 10 millions d’euros est déclarée contraire à la Constitution par le Conseil Constitutionnel en raison de la « généralité des termes employés, du caractère large et indéterminé de la mention « droits humains » et des « libertés fondamentales » et du périmètre des sociétés, entreprises et activités entrant dans le champ du plan de vigilance ».
Un mécanisme incitatif a toutefois été conservé pour veiller à l’exécution de cette obligation par les entreprises concernées. Après une mise en demeure, une injonction de s’y conformer pourra être prononcée par la juridiction compétente, le cas échéant sous astreinte, à la demande de victimes, associations ou syndicats et de toute autre personne justifiant d’un intérêt à agir.
Le droit commun de la responsabilité civile s’appliquera également en cas de lien de causalité direct entre le dommage et le manquement à cette nouvelle obligation.
Le soutien du Gouvernement
Lors de son intervention devant l’Assemblée Nationale le 29 novembre 2016, Michel Sapin, Ministre de l’Economie et des Finances, rappelait la nécessité de responsabiliser les grandes entreprises dans un contexte de mondialisation économique.
Il a précisé qu’”il n’est plus envisageable que certaines entreprises puissent utiliser les différences de législation ou de niveaux de vie pour augmenter leurs profits au détriment des salariés ou de l’environnement” et ajouté que “Responsabiliser les grandes entreprises ne signifie pas brider l’activité économique et l’innovation : responsabiliser veut dire prévoir et réfléchir aux conséquences avant d’agir.”
Le texte s’inscrit dans une tendance forte du gouvernement français visant à renforcer la transparence du monde des affaires. La France a en effet récemment adopté la loi Sapin II prévoyant une obligation de vigilance en matière de lutte contre la corruption. La loi sur le devoir de vigilance suit une logique similaire dans le domaine du respect des droits humains.
Une avancée par rapport au reporting extra-financier
La proposition de loi sur le devoir de vigilance permet de franchir une étape supplémentaire. Elle incite les entreprises concernées à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour identifier et prévenir les atteintes aux droits humains.
Au-delà d’une obligation de rendre des comptes, elle crée l’obligation de mettre en œuvre une diligence raisonnable en matière des droits de l’homme, une obligation de moyen proche de celle définie par les Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme adoptés en 2011 et déclinés depuis dans de nombreux textes internationaux.
Sans attendre une réglementation contraignante, certains grands groupes français et étrangers ont déjà commencé à déployer des mesures de diligence raisonnable en matière des droits de l’homme dans leurs activités et dans leur relation avec leurs partenaires commerciaux.
Cela s’est traduit par l’adoption de politiques précisant leur engagement de respecter les droits de l’homme, l’amélioration du système de gouvernance, la conduite d’analyses de risques intégrant ces enjeux, l’adaptation de leurs processus existants permettant de prévenir et de remédier aux impacts prioritaires identifiés (via notamment le renforcement des dispositions contractuelles, du dispositif de sélection des partenaires commerciaux, du système de monitoring et de l’offre de formation) et la mise en place de mécanismes de recueil et de traitement des plaintes des parties prenantes externes.
La proposition de loi permettra ainsi d’encourager ces entreprises à poursuivre leurs efforts et incitera les entreprises plus résistantes à mettre en œuvre de tels mécanismes en ligne avec leurs engagements.
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