Prévenir les risques de corruption : pourquoi l’approche de conformité n’est-elle pas suffisante ?
Deux années après l’entrée en vigueur de la loi Sapin II renforçant les obligations réglementaires à l’encontre des entreprises dans le domaine de la lutte contre la corruption, il nous a semblé important d’interroger les praticiens de l’éthique et de la conformité en entreprise sur l’efficacité d’une approche de conformité comme seule méthode de prévention des pratiques corruptives. L’approche de conformité est entendue ici comme la mise en application stricte des règles qui s’imposent à l’entreprise.
Les participants ont débattu des liens entre la conformité et l’éthique et de la nécessité d’obtenir l’adhésion de tous pour lutter efficacement contre la corruption.
Madame Francine Ruellan, Responsable Éthique et Conformité du Groupe La Française des Jeux, a ouvert ce déjeuner-débat en soulignant l’indivisibilité de la conformité et de l’éthique. L’éthique, elle-même définie comme expression des valeurs, guide nos comportements. Ces valeurs peuvent par exemple être celles de l’exemplarité, de la responsabilité, de l’intégrité, du courage, de la considération, de l’écoute ou de la bienveillance. La conformité est indissociable de l’éthique pour réussir à conquérir les esprits au sein de l’organisation.
Les participants reconnaissent que la conformité est un outil puissant, mais la menace d’une sanction ne serait pas suffisante. En effet, le Compliance Officer ne peut se reposer uniquement sur la contrainte réglementaire pour parvenir à une transformation de la culture d’entreprise. C’est ici que l’éthique entre en jeu. L’éthique en appelle à la responsabilisation et à l’appropriation par les employés des valeurs de l’entreprise. En se raccrochant à l’ADN de l’entreprise, elle donne du sens et apporte une dimension positive au discours, au-delà du simple respect de la procédure.
Cette démarche peut par ailleurs être différenciante et permettre à l’entreprise de gagner en compétitivité auprès de clients ou autres partenaires commerciaux et attirer et/ou retenir les talents. La conformité serait ainsi associée aux risques, et l’éthique constituerait une opportunité améliorant les performances de l’entreprise sur le long terme.
Cependant, l’approche éthique comporte plusieurs difficultés soulevées par les participants. L’enseignement de l’éthique requiert davantage de pédagogie. Les tendances moralisatrices de l’éthique peuvent constituer un frein et rendre le dialogue en entreprise moins aisé. L’approche conformité, plus réaliste, peut alors aider à convaincre en interne, notamment lorsque l’auditoire est réticent, et contrebalance ces effets parfois contre-productifs du « discours éthique ».
La dimension temporelle est également importante. Plusieurs participants ont souligné que la mise en place d’une démarche éthique s’inscrit dans la durée et nécessite plus de temps que le déploiement d’un programme de conformité. Cependant, il s’agirait de « prendre plus de temps aujourd’hui pour en gagner demain ».
Pour nombre de participants, un leadership modèle est un élément essentiel pour combattre la corruption au sein de l’entreprise. Malheureusement, les récentes affaires judiciaires témoignent parfois de mauvais comportements au plus haut niveau de l’entreprise, des instances dirigeantes qui n’ont pas su incarner les valeurs promues par l’entreprise. Ces défaillances ont été également mises en évidence par l’Agence française anticorruption (AFA) lors de ses premiers contrôles des programmes de conformité anti-corruption.
Alors, à défaut d’engagement des cadres dirigeants, l’exemplarité peut, et/ou doit-elle, venir d’en bas par une prise de conscience de l’ensemble des employés ? Cette conviction est exprimée par plusieurs participants et rejoint l’analyse de Pascal Cescon, déontologue de la Banque de France qui a rappelé lors d’une table-ronde : « Quand le niveau d’exigence éthique de la majorité des salariés progresse, les comportements non éthiques deviennent beaucoup plus visibles et moins tolérés par les pairs ». Cette prise de conscience sera facilitée par la liberté de parole au sein de l’organisation. Les employés doivent être encouragés à exprimer leurs opinions et à faire remonter leurs préoccupations. En somme, la culture éthique est essentielle et doit irriguer tous les niveaux de l’entreprise.
En citant le texte de Maxime Beauchesne, « l’Éthique est un sport de combat », Francine Ruellan rappelle à juste titre que l’éthique est une question de conviction et que les Compliance Officers doivent en être les ambassadeurs. Les Compliance Officers sont souvent seuls face à l’immensité de la tâche et contraints de déployer des stratégies d’alliance pour un rééquilibrage des forces en présence. « On n’a jamais raison, seul contre les autres ». Les Compliance Officers en étant « seuls », gagnent néanmoins en indépendance, et cela leur permet d’être protégés de biais internes à l’entreprise.
Certains participants ont soulevé la nécessité de prendre des décisions cohérentes pour faire adhérer les collaborateurs. Il arrive que les décisions opérationnelles, tout en respectant les réglementations applicables, soient contraires à l’éthique et aux valeurs de l’entreprise. Il faut également que l’entreprise soit prête à imposer des sanctions disciplinaires au bon niveau pour garantir la crédibilité de la démarche engagée par les Compliance Officers.
Enfin, la majorité des participants s’accorde à dire que la conformité fait partie de l’éthique. Pour certains, l’éthique est par nature évolutive, prend en considération les nouvelles attentes de la société, et très souvent, est un précurseur des prochaines réglementations. Elle devient d’autant plus importante que nous assistons aujourd’hui à une responsabilisation croissante de la société civile et un engagement fort des citoyens. Nous constatons également que la conformité intègre parfois les normes éthiques dans l’ordre juridique. En ce sens, le rôle de l’éthique dans la lutte contre la corruption ne peut être sous-estimé et nous serions légitimes à penser que la conformité procèderait de l’éthique et de reconnaitre leur interdépendance. Certaines personnes estiment toutefois que les domaines de l’éthique et de la conformité tendent à se rapprocher mais restent indépendants. Ainsi, la conformité ne serait pas une déclinaison de l’éthique mais une modalité permettant d’atteindre l’éthique. L’éthique et la conformité sont donc indissociables. Les deux domaines s’alimentent pour accompagner les Compliance Officers dans une démarche de transformation de l’entreprise.
Le point de vue de GoodCorporation :
Depuis sa création en 2000, GoodCorporation a guidé ses clients dans la mise en œuvre de pratiques éthiques inspirées des standards les plus élevés. Cette éthique des affaires repose sur l’engagement de la direction, l’écoute et la prise en considération des attentes de toutes les parties prenantes de l’entreprise, notamment les employés, les fournisseurs, les clients et les investisseurs.
Un programme de prévention de la corruption s’appuie à la fois sur le déploiement de politiques et de procédures robustes et la création d’une éthique d’entreprise fondée sur les valeurs. Au-delà de la pression réglementaire qui aide les Compliance Officers à piloter un programme de conformité anti-corruption, la promotion d’une culture éthique portée au plus haut niveau est fondamentale pour orienter l’action des décideurs et des collaborateurs, renforcer la confiance des parties prenantes internes et externes et protéger in fine la réputation de l’entreprise. La culture éthique en entreprise permet de réduire les risques de corruption, notamment lorsque des entorses ou des défaillances existent dans le dispositif de contrôle mis en place par l’entreprise. Elle joue par ailleurs un rôle central à l’heure où les salariés sont en quête de sens au travail pour relever les défis de la fidélisation des employés. Les deux approches sont complémentaires et nous encourageons les entreprises à intégrer ces considérations éthiques dans leur programme de conformité anti-corruption.
GoodCorporation a développé une méthodologie d’évaluation solide pour aider les organisations à identifier les bonnes pratiques et les axes d’amélioration. Nous évaluons les processus et la culture d’une organisation à travers la perception des différentes parties prenantes de l’organisation. Le Référentiel d’Éthique des Affaires développé en 2001 pour promouvoir des pratiques d’affaires basées sur des valeurs éthiques définit des indicateurs clés pour une gestion responsable d’une organisation sur le plan social, sociétal, environnemental, des droits humains et de la lutte contre la corruption. Le Référentiel Anti-Corruption de GoodCorporation comprend des recommandations concrètes pour aider les entreprises à répondre aux exigences de la loi Sapin II et à mettre en place les meilleures pratiques dans le domaine de la détection et de la prévention de la corruption. Enfin, nous avons récemment mis au point un nouvel outil « Measuring ethical culture » pour évaluer la culture éthique d’une entreprise.